LA FABRIQUE DU CRÉTIN

Publié le par Michel Durant

On ne naît pas crétin, on le devient

Publié en 2006, le livre de Jean-Paul Brighelli fit l'effet d'une bombe à sa sortie puis on n'en parla plus. Il critiquait l'institution scolaire française dont les  enfants "ne savent plus lire, compter, penser". Une machine  à produire et reproduire des crétins. Finis le pacte républicain, l'égalité des chances, l'ascenseur social, la transmission de l'esprit critique… Un constat sévère que l'auteur aurait pu faire 30, 50 ou 100 ans plus tôt car, personnellement, je n'ai pas souvenir que l'école où j'ai appris à lire, écrire et compter m'avait enseigné comment penser, réfléchir, analyser par moi-même. Bien au contraire, sorti de l'École Normale (machine à normaliser) à 20 ans, c'est plutôt au contact de la vie (travail, guerre d'Algérie) et de mes camarades syndicalistes que j'ai appris à penser et à m'exprimer en dehors des sentiers battus.

L'éolienne de Saulzet tourne sans déranger personne quand le vent souffle

Si je reprends le titre de ce livre par ailleurs très intéressant c'est pour l'appliquer non pas à l'école (il y a trop longtemps que je l'ai quittée pour en faire une analyse critique objective) mais à la société, tout entière impactée par les médias eux-mêmes parasités par la publicité. Je prendrai deux exemples récents pour illustrer mon propos et montrer comment pub et médias crétinisent l'humanité dans une forte proportion : le débat sur l'énergie et celui sur la violence. J'emploie le mot débat pour le contester aussitôt car pour qu'il y ait débat, il faut que les débatteurs soient placés à égalité, ce qui n'est jamais le cas, les puissants se voyant donner la parole plus souvent, plus longtemps, dans un plus grand nombre de médias.

Ni maisons, ni châteaux, ni Stéphane Bern : tout va bien, merci

L'énergie, en ce moment, a le vent en poupe avec la mise au pilori des éoliennes. Tueuses d'oiseaux, bruyantes, étrangères, affreuses, pas recyclables et pas rentables sauf pour leurs fabricants, tout y passe. Le touriste des châteaux et des princesses, Stéphane Bern, se répand dans les médias pour fustiger cette énergie (qui  risquerait de lui ôter le pain de la bouche, c'est moi qui le dis). Bien entendu, tout cela est faux. On n'implante pas des éoliennes n'importe où et, pour avoir participé à de nombreuses enquêtes publiques, je peux affirmer que c'est plus dur d'installer des éoliennes dans une campagne désertifiée qu'un supermarché dans une ville déjà suréquipée. Elles tuent peut-être des oiseaux mais pas davantage que les lignes et pylônes à haute tension et, pour ce qui concerne la beauté, comparons la ligne THT qui passe entre Gannat et Cognat-Lyonne, le silo de Val Limagne récemment édifié et l'éolienne de Saulzet : il n'y a pas photo. Pour ce qui concerne le bruit, aucune éolienne ne peut s'installer à moins de 500m d'une habitation et j'invite mes lecteurs à monter sur la colline de Saulzet au pied de l'éolienne. Ils pourront constater qu'on y entend davantage le bruit de la circulation automobile sur la D2009 que celui de l'éolienne. Elles ne sont pas belles, dit monsieur Bern que je ne trouve pas beau (mais ça n'engage que moi) et dont la façon de parler m'horripile (ce n'est pas une raison pour l'interdire d'antenne puisqu'il y en a qui l'aiment). Elles sont fabriquées à l'étranger* ? À qui la faute sinon à EDF et aux gouvernements successifs qui ont refusé de lancer une filière française pour conserver la prédominance des centrales nucléaires dans la production d'électricité. Oui, il est difficile de recycler les premières éoliennes arrivant en bout d'exploitation (que dire alors des centrales nucléaires ?) mais celles de nouvelle génération pourront être recyclées. Quant au retour sur investissement d'une éolienne, il est de l'ordre de dix ans en moyenne, meilleur que tout autre moyen de production électrique. Tout ça ne signifie pas que l'on doive couvrir la totalité de la France d'éoliennes, par exemple, dans l'Allier, les Verts et France Nature Environnement se sont prononcés contre l'installation d'éoliennes dans la forêt des Colettes.*C'était vrai autrefois mais maintenant, plusieurs sites (Nantes, Cherbourg) fabriquent des éoliennes et, de toutes les façons, le 1er producteur européen d'éoliennes, le Danemark, est plus proche de Lille (700km) que ne le sont Toulouse (900km) ou Marseille (1000km).

Pas d'éoliennes dans le secteur de Tchernobyl, pas de datcha pour M. Bern

Si la contestation de l'énergie éolienne est aussi forte en ce moment c'est bien parce que l'énergie nucléaire bat de l'aile. Ses défenseurs ont beau mentir comme aux plus beaux jours des ineffables professeurs Pellerin affirmant en 1986 que le nuage de Tchernobyl n'avait pas franchi la frontière française et Allègre proclamant en 2011 que "prendre sa voiture le dimanche est beaucoup plus dangereux que de vivre près d'une centrale nucléaire" (à condition que ce ne soit pas à Pripiat ou Fukushima), ils ne parviennent plus à convaincre la population. Aussi ont-ils recours à une propagande publicitaire répétitive autant qu'insidieuse. Des pages et des pages de pub dans TOUS les journaux régionaux et nationaux martelant en lettres vertes que l'énergie nucléaire est décarbonée et qu'elle garantit l'indépendance énergétique de la France. Deux  affirmations entièrement fausses. 

On peine à installer la jolie coiffure de l'EPR mais à la fin quelle beauté !

D'abord, la France n'a plus d'uranium sur son sol. Donc il faut en importer chaque année 9000 tonnes du Kazakhstan, du Canada, d'Australie et du Niger ce qui produit d'importantes quantités de gaz à effet de serre pour l'extraction et le transport. Même si l'uranium provient de plusieurs sources, l'indépendance énergétique du pays est loin d'être assurée (ainsi la mine d'Arlit au Niger qui fournit entre 20 et 30% de l'uranium aux centrales atomiques françaises fut l'objet en 2013 d'une attaque terroriste avec des morts et une prise d'otages). Ensuite, l'achat de cet uranium (entre 500 millions et un milliard d'euros selon les années) n'est pas compté dans la facture énergétique de la France, alors que les frais considérables du démantèlement des centrales en bout de course et la gestion problématique des déchets nucléaires pendant des centaines ou des milliers d'années sont minorés. Aujourd'hui, 12 réacteurs sont en cours de démantèlement sur 7 sites et la centrale de Brennilis, en Bretagne, qui n'a fonctionné que 18 années, arrêtée en 1985, n'a toujours pas achevé son démantèlement qui a déjà coûté 480 millions d'euros, soit 20 fois l'estimation par les nucléocrates ! Enfin, le "bijou" atomique idéal, l'EPR de Flamanville dont nous devions vendre les clones à l'étranger et dont le chantier débuté en 2007 n'est toujours pas terminé (3 fois plus cher et 3 fois plus long que les estimations) est une gabegie totale, un échec industriel et commercial, une erreur aussi néfaste que l'a été Superphénix. 

Une journaliste fait un reportage sur une centrale nucléaire. Manque de pot un tuyau éclate et le directeur pète un câble…

Si vous détestez les éoliennes (c'est votre droit), si vous adorez les centrales atomiques (c'est votre choix, l'amour ne se commande pas), je vous conseille d'aller voir le film en 5 épisodes sur la catastrophe de Tchernobyl en replay sur M6. Il y a aussi Le Syndrome chinois, film de James Bridges avec Jack Lemmon, Jane Fonda et Michael Douglas. Je l'ai en cassette vidéo et peux le prêter. Veillez à éteindre la lumière quand vous quittez une pièce et votre ordinateur après avoir lu cet article !

La violence existe : une trentaine de manifestants éborgnés par les flashballs

Pour ce qui est de la violence qui augmente, de l'insécurité qui augmente, de Le Pen qui augmente, j'ai déjà donné une demi-douzaine d'articles sur le sujet. Mais aujourd'hui, sur tous les médias, on ne fait que commenter la phrase de Macron à Martel en Quercy : "Nous sommes dans une société de plus en plus violente et la nation vit un sentiment d'insécurité". La première affirmation est fausse, les chiffres du Ministère de l'Intérieur le montrent. La seconde est rendue vraie car les politiciens et les médias répètent à longueur de temps, d'images et de mots que la violence est partout, qu'elle augmente… et la fabrique du crétin fonctionne à merveille.

 

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