LE CHARME OSTENTATOIRE DE L'INTESTIN BOURGEOIS
Ne croyez pas que le mammifère bipède bourgeois possède, à la naissance, un intestin différent de celui de son congénère prolétaire. Mais, rapidement, ce tuyau de plus de 8m de long le devient grâce au cerveau qui commande ses habitudes alimentaires. Le primate frugivore qui descendit de l'arbre pour conquérir le monde, une fois qu'il se fût dressé sur ses pattes arrière, n'imaginait pas qu'un jour, sur leurs grands pieds, deux allemandes se feraient des utérus en or grâce à la publication d'un livre illustré sur le fonctionnement de l'intestin qualifié de second cerveau humain : Le Charme discret de l'intestin.
Pourtant, avec plus d'un million d'exemplaires vendus en Allemagne la première année (350 000 en France), traduit aussitôt en plus de 30 langues, les sœurs Giulia et Jill Enders ont trouvé "le bon tuyau". Un tuyau qui possède entre deux cents et cinq cents millions de neurones (selon les sources, certains prétendant même qu'il en a autant que le cerveau crânien) et renferme cent mille milliards de bactéries. On sentait bien confusément que nos entrailles gouvernaient le monde (comment mener à bien une négociation sur la réduction des essais nucléaires si les artificiers en chef envoient à intervalles réguliers des flatulences malodorantes qui rendent l'atmosphère aussi irrespirable qu'une rue de Pékin ?), que notre digestion commandait notre humeur et que notre appétit aiguillait nos choix nutritifs en fonction de critères bien établis, eux-mêmes imposés par les bons usages, les modes, les règles religieuses, sociales, écologiques.
Les repas de fêtes de fin d'année – mais aussi d'anniversaire, de mariage, de baptême... d'obsèques – sont l'occasion de mettre à l'épreuve ce deuxième cerveau (qui est peut-être même le premier puisque les premiers êtres vivants disposaient surtout d'un tube digestif) qui se doit d'ingurgiter en une seule plage temporelle deux ou trois fois la quantité habituelle de victuailles.
Les huîtres, le boudin blanc, le foie gras, les coquilles St Jacques, les moules farcies, le gigot, la langouste, le homard, le chapon, l'oie ou la dinde, la bûche, les profiteroles... le tout accompagné de champagne et de crus divers, blanc, rouge, rosé... autant de merveilles vantées par les convives auxquels des souvenirs de bombances fameuses et de mets délicieux rappellent des moments exceptionnels. Car chacun se doit d'avoir vécu des festins, des banquets, des agapes si l'on est un bon bourgeois, des gueuletons si l'on est plutôt prolo car, si l'homme fait un repas, le repas fait l'homme.
Longtemps, celui-ci a philosophé sur la qualité et la quantité de ce qu'il expédiait dans ses entrailles avec, comme principe, mens sana in intestina sana. La salutation comment allez-vous, comment ça va, ça va ? signifiant déféquez-vous convenablement, tu vas bien au cabinet, t'arrives à chier ou t'as le cul bouché ? (selon le niveau de langage et le milieu social de l'homo sapiens sapiens) employée vingt fois par jour montre combien la fonction excrétrice de l'intestin, suite normale de l'ingurgitation de la nourriture, est importante chez l'homme, même si c'est inconsciemment,
car chacun n'a pas lu les nombreux ouvrages traitant du sujet. Bien sûr, le corollaire de cette littérature ce sont les livres sur la diète, le jeûne, l'ascèse d'autant plus "méritoires" qu'ils sont volontaires et durables, sans oublier les grèves de la faim militantes et interminables. Le fameux philosophe Pierre Dac n'a pas manqué d'apporter sa contribution à la question, quitte à provoquer des guerres intestines, en déclarant : "La constipation, c'est quand la matière fait cale !"
NB : Sur le même sujet, lundi 2 janvier à 10h05 sur France Inter, l'émission "Grand bien vous fasse" recevait les auteurs du livre Les Secrets de l'intestin.