LE MONDE EST UN THÉÂTRE

Publié le par Michel Durant

Shakespeare aurait été content, ce vendredi 11 mai où l'on rendait hommage à notre ami Pierre Michel décédé le 8 mars dernier, de voir et entendre glorifier le théâtre. Il aurait pu constater combien la vie d'un homme "ordinaire" devient extraordinaire par le truchement du théâtre, de sa pratique, de sa fréquentation, de sa glorification. Il aurait vu comment, cinquante ans après, les jeunes acteurs de la troupe théâtrale des Amis de l'Enseignement Public de Gannat dirigée par Simone et Pierre Michel étaient encore animés par la passion du théâtre et soucieux de montrer à l'assistance – j'allais écrire au public car il s'agissait bien d'une  représentation – combien cette activité créatrice les avait aidés dans leur vie quotidienne. Ci-dessus, Roland Michel parlant de son père avec reconnaissance.

De gauche à droite : Jacques Siutkowski, Roland Michel, Dominique Boulignat, Annie Bonnet, Guy Brivet, Anne-Marie Baggio, Yves Bergnard.

Jean Pillon, Président de Nature Vivante Gannat, association fondée en 1973 par Pierre Michel, Joseph Moret et Paul Goffin, sans déclamation, très simplement, présenta l'action novatrice, déterminée et permanente de l'ami qu'il honorait en faveur de la nature, de sa connaissance et de sa protection. Il souligna son sens de l'hospitalité et le rôle capital que jouait son épouse dans la chaleureuse amitié que déployait la famille Michel en toutes circonstances. Ci-contre, Jean Pillon, organisateur des voyages annuels de Nature Vivante Gannat.

 

René Chanaud qui fut longtemps Président d'Allier Nature, l'association départementale que Pierre Michel avait fondée sous le nom d'APENA (Association pour la Protection et l'Étude de la Nature dans l'Allier), à la place de Jacques Debeaud, l'actuel Président excusé, expliqua  combien l'action de Pierre Michel fut exemplaire. Exemplaire car il donnait à tous l'exemple de la ténacité et  du courage, car il montrait le chemin, pas toujours facile, de la lutte contre les remembrements, les aménagements ravageurs, les carrières démesurées, car il était toujours sur le front, prêt à recevoir les coups de l'Administration, des élus et des professionnels "faisant leur beurre" sur le dos de la nature. L'exemple aussi de la persévérance quand on croyait la bataille perdue comme dans le cas du barrage de Chambonchard, aux confins des trois départements de l'Allier, du Puy-de-Dôme et de la Creuse, lutte qui dura plus de vingt ans et finit par être victorieuse sous le gouvernement de Lionel Jospin avec la ministre Dominique Voynet. René Chanaud fut aussi le premier conseiller régional écologiste d'Auvergne en 1992.

Une des interventions les plus fortes et sensibles fut celle de Chantal Bislinski et Jacques Siutkowski, fondateurs-animateurs du Théâtre Atelier Bûle. Depuis plusieurs décennies, ce couple d'enseignants forme, sans les conformer, de jeunes gens à l'activité théâtrale, monte des pièces souvent originales, crée des spectacles ambitieux du répertoire ou assure des représentations originales. D'une certaine manière, ils continuent, sous une autre forme, à faire vivre l'expression théâtrale à Gannat comme  Simone et Pierre Michel en leur temps. Ils furent rejoints, devant l'assemblée médusée, par cinq des "anciens" membres des années 60-70, ceux qui avaient joué dans Les Sonderling, La Demande en Mariage, Le Cousin de Rose, La Barque sans Pêcheur, Le Cosmonaute agricole, La Jalousie du Barbouillé, Voyage autour de ma Marmite… Chacun put  dire combien ces années où ils montèrent sur scène avaient été enrichissantes et décisives pour leur existence. Jacques et Chantal sous le regard de Jean-Noël Michel, le maître de cérémonie.

Puis ce fut le cousin, pas celui de Rose mais de Pierre Michel. Et – le croirez-vous ? – il s'appelle aussi Pierre Michel. En quelques phrases humoristiques, le cousin de Pierre Michel – Pierre Michel – montra combien les liens familiaux permirent à celui-ci de surmonter les difficultés de la vie quand de graves problèmes de santé l'assaillirent en pleine jeunesse (la tuberculose, le traitement, la guérison, la convalescence). Un peu comme Célestin Freinet, le célèbre pédagogue, que les gaz de la Première Guerre Mondiale avaient diminué physiquement, notre ami Pierre Michel pratiqua une pédagogie plus conforme à ses possibilités, plus proche de la nature, plus adaptée aux goûts et aux possibilités des élèves.

La preuve, elle nous fut donnée par un ancien élève de l'école de Treban où les époux Michel enseignèrent plusieurs années. Ce témoignage très touchant, au-delà de ce couple exemplaire, a aussi magnifié le noble métier d'instituteur, celui "qui met debout", quand il est pratiqué avec amour, compétence et dévouement. Le texte et l'expression libres, le journal et la correspondance scolaires, les voyages-échanges, la découverte de la nature, la vie soudée d'une petite communauté rurale dans l'après-Seconde Guerre Mondiale où l'on était loin de la société de consommation, la pratique d'une pédagogie "totale" dans un poste double comme il n'en existe plus aujourd'hui, furent le quotidien de Pierre Michel, fondement de sa pratique professionnelle future à Gannat.

Avec Guy Vérat, son collègue gannatois pendant une vingtaine d'années, on aura un portrait plus intimiste, plus anecdotique, moins connu. D'emblée, il assure qu'il parlera de SON Pierre Michel, celui qu'il a pratiqué au cours des récréations passées ensemble à arpenter la cour de l'école Jean-Jaurès en parlant des élèves, des méthodes pédagogiques, de l'actualité syndicale, politique, locale… Ah, certes, on ne s'attendait pas à ce qu'il soit question d'une leçon de pêche à la ligne donnée à Pierre Michel par son jeune collègue Guy Vérat ! Ni à ce qu'il revienne "à la tribune", ayant oublié quelque chose… en l'occurrence la venue et l'accueil des paysans du Larzac à Gannat, par deux fois, lors de leur "montée à Paris", en tracteur d'abord, à pied ensuite. La participation de Pierre Michel à cet accueil était motivée non seulement par la défense de la propriété paysanne due à son origine terrienne mais encore par sa détestation de la guerre et de la préparation de la guerre. Guy Vérat donna aussi une image peu connue de Pierre Michel : la vision pour le moins étrange qu'il avait du cinéma. Cinéma dont il était un spectateur assidu des séances que nous organisions au Ciné-Club de l'Amicale Laïque. C'est ainsi qu'on apprit que le lucide, le rationnel, le perspicace Pierre Michel voyait les films comme des réalités, des sortes de documentaires. Il n'appréciait pas toujours notre manière d'interpréter les films comme des messages ou des références et trouvait ennuyeuses nos analyses techniques et excessifs nos commentaires politiques. L'exemple donné du film de Jean Renoir La Marseillaise fut très éclairant.

Le dernier témoignage, celui de Michel Durant (votre serviteur) fut consacré essentiellement aux combats menés pour la défense de la nature auxquels Pierre Michel a été attentif jusqu'à ses derniers jours. C'est d'ailleurs à cause des liens profonds qui l'unissaient à son ancien directeur d'école, son ancien président d'association écologiste, son ancien colistier aux élections municipales que celui-ci s'est associé à Jean-Noël et Roland Michel, les deux fils du défunt, pour lui rendre un hommage fidèle, discret (aucune annonce dans la presse) et chaleureux. Ce fut un peu difficile car, comme d'autres intervenants avant lui, les mots se sont coincés dans sa gorge. Et c'est sur un texte du poète sénégalais Birago Diop que se termina cette intervention : "Ceux qui sont morts ne sont jamais partis, les morts ne sont pas sous la terre ils sont dans l'arbre qui frémit, ils sont dans l'eau qui coule, ils sont dans le sein de la femme, ils sont dans l'enfant qui vagit, ils sont dans les herbes qui pleurent, ils sont dans la forêt, ils sont dans la demeure. Les morts ne sont pas morts…"

C'est Jean-Noël Michel, le fils aîné qui conclut cette partie-témoignages de la soirée pour enchaîner sur la collation au cours de laquelle les participants purent discuter, échanger, regarder les photographies et les documents de l'exposition réalisée pour illustrer autrement que par des mots la vie édifiante de Pierre Michel. Puissent ces échanges, ces témoignages, ces présences prolonger et maintenir vivants les  combats menés par notre ami, notre camarade, notre frère !

Simone Michel et un ancien élève de Treban

En 1971, le groupe théâtral des Amis de l'Enseignement Public de Gannat animé par Simone et Pierre Michel (2e à gauche et dernier à droite). Notre ami Pierre Michel avait alors 51 ans.

 

 

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