TÉLÉRAMA M'A CLOUER… le bec
Jean-Pierre Marielle, honoré par Télérama

En lisant mon article du 27 avril dernier "Chassez le naturel", mes lecteurs ont pu croire que Télérama était devenu une de mes victimes propitiatoires et que je brûlais ce que j'avais adoré. Il n'en est rien. Je me contentais de blâmer l'habitude courante des croyants – des religions, des doctrines, des idéologies – de ne pouvoir parler de leurs croyances qu'avec des affirmations sans fondements, sans rationalité, sans distance. Que ce soit le Pape, un théologien suisse ou le porte-parole de LREM, le credo quia absurdum est de rigueur et le bûcher n'est pas loin pour les incrédules.
Daniel Pauly, océanographe

Le numéro 3617 (!!!) du bientôt septuagénaire Télérama vient opportunément me rappeler qu'il s'agit d'un magazine de grande qualité qui traite d'à peu près tous les sujets avec une grande compétence et objectivité (sauf bien sûr quand il s'agit de la religion chrétienne mais, à l'impossible nul n'est tenu). En tout cas, cette semaine me ravit avec une interview de l'océanographe Daniel Pauly, un bel article sur la collaboration Banderas-Almodovar et un touchant hommage à Anne Bourguignon, alias Anémone, l'inénarrable interprète de Thérèse qui, tout en répondant aux appels téléphoniques des désespérés de la vie dans Le Père Noël est une ordure, tricote un un gilet à trous pour Thierry Lhermitte.

Si j'ignorais l'existence du théologien suisse voulant me convaincre de l'existence et de la nature divine de Jésus Christ, je ne connaissais pas davantage l'océanographe Daniel Pauly dont les 15 années de vie malheureuse dans une famille d'accueil en Suisse ne le prédestinaient pas à la connaissance des fonds marins et de leurs habitants. Ce qui l'a sauvé – outre des rencontres "miraculeuses" comme celles d'une jeune vendeuse suisse et d'un professeur allemand – c'est "cette forme de résistance qui renforce la personnalité" dans un cas sur dix chez les enfants ayant subi une existence à la Dickens.
Où est la sardine qui boucha le port de Marseille ?

Devenu biologiste et océanographe dans les années 60, Daniel Pauly s'est intéressé aux méthodes de pêche industrielle qui ont, progressivement, vidé les fonds marins. Il affirme qu'on y utilise "des méthodes de guerre et que les responsables savent que les ressources ne sont pas inépuisables et que l'expansion infinie sur une terre finie est une contradiction". Mais on continue et la plupart des gens ne comprennent pas la gravité de la situation puisqu'ils trouvent toujours du poisson sur les étals. De bonne foi, même, les consommateurs mangent du poisson (pour ne pas abuser de la viande bovine) en choisissant ceux pêchés avec des écolabels. Mais Daniel Pauly reconnaît qu'il s'est trompé en défendant ces écolabels et qu'on ne sauve pas plus les espèces de poissons surpêchées en surveillant les étiquettes de surgelés qu'on ne lutte "contre la pollution plastique des océans en envoyant des petites filles nettoyer les plages de leurs déchets".
Ailerons de requins à foison

En revanche, Daniel Pauly compare l'action de l'ONG Bloom qui dénonce les restaurants qui proposent des ailerons de requins et les enseignes de la grande distribution qui commercialisent des espèces de poissons vivant dans les grandes profondeurs. à la lutte contre le tabac qui a duré des décennies sans aucun résultat jusqu'à ce que des lois interdisent de fumer, même dans les bistrots et les bureaux de tabac ! Daniel Pauly en appelle à Churchill et De Gaulle qui ont lutté contre le nazisme par principe, contre la barbarie. Il n'accepte pas la destruction de la diversité mondiale. Il ne sait pas s'il remportera la victoire mais il lutte contre. Par principe. Et cela m'encourage dans notre combat pour les arbres et les oiseaux du Champ de Foire. Tous les jours, on me demande si on va sauver nos érables. Je suis obligé de répondre que je n'en sais rien, que je fais tout pour ça avec tous nos amis, par principe. Une fois encore je répète cette maxime : "Il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer". Oui, je persévère, nous persévérons, vous persévérez, n'en déplaise aux aménageurs, destructeurs, massacreurs !
La Sittelle torchepot vous salue bien !

Et Daniel Pauly élargit son propos au réchauffement climatique. Je cite : "Si on n'intervient pas…, on aura des famines effroyables. Par exemple, une mousson qui n'a pas lieu en Inde, c'est immédiatement la guerre pour l'accès aux ressources, et entre l'Inde et le Pakistan, il y a des bombes atomiques. Et si une partie du Bangladesh est submergée, cent millions de Bangladais vont vouloir aller en Inde…" Bien sûr, Télérama nous inflige, au sein de l'interview, deux pleines pages de pub pour des bagnoles. Décidément, le capitalisme est partout, insatiable, invariable, inexorable.