RISS ET PÉRILS

Publié le par Michel Durant

 

La salle du Petit Théâtre Impérial de Vichy était comble ce dimanche 16 février pour accueillir l'un des survivants de la tuerie du 7 janvier 2015 à Charlie Hebdo. Riss, le Directeur de publication du journal était interviewé suite à la sortie de son livre Une minute quarante-neuf secondes à l'automne dernier chez Actes Sud.

 

Je n'y avais jamais mis les pieds. 80 places dans un espace digne des cafés-théâtres parisiens, drapé de rouge, meublé de chaises rapidement occupées par un public disparate mais, à ma grande surprise, plutôt âgé. Un plateau de six mètres carrés, une table avec un micro, un écran vidéo démesuré qui, en attendant l'arrivée de la vedette du jour, fait défiler les conférences précédentes et les suivantes données dans cet étrange lieu. 

 

Sitôt Riss arrivé, l'intervieweur se lance dans une introduction dont la longueur m'inquiète : je crains qu'il n'occupe la scène, accapare la parole et ne laisse à Riss que la portion congrue. Ma crainte était vaine. Après la première question, il sait s'effacer derrière le Survivant, le témoin du massacre, le délicat et timide dessinateur-directeur de Charlie. Deux adjectifs que certains estimeront incongrus si l'on en juge par ses dessins, notamment la couverture du numéro de la semaine. On y voit une patineuse glissant sur la glace tandis que son coach, patins aux pieds, la sodomise avec un sourire complice en direction du commentateur sportif que chacun peut reconnaître !

 

La violence du trait, sur un sujet infiniment dérangeant, permet, comme disait Albert Londres du métier de journaliste : "…ce n'est pas de faire plaisir ou de faire du tort mais de porter la plume dans la plaie". Aujourd'hui que l'image omniprésente est prépondérante, le caricaturiste a le rôle du boxeur : frapper vite et fort pour interpeller le lecteur noyé dans les images virevoltantes, passagères même quand elles sont diffusées en boucle. Riss et ses jeunes nouveaux collègues – j'aime beaucoup Coco – en disent davantage en un dessin que bien des journalistes "sérieux" en cinq colonnes à la Une.

 

Cabu, Wolinski, Charb et Willem ont disparu. Ils n'ont pas été remplacés car ils étaient uniques. Mais d'autres dessinateurs ont rejoint Charlie, apportant leur talent, leur jeunesse, leur différence. Charlie est toujours le même : insolent, tonique, créatif, interrogateur, bousculant idées préconçues et maîtres du moment. Je ne peux pas m'en passer. Le mercredi est le meilleur jour de la semaine car je vais acheter Charlie et le déguster page à page afin de supporter la violence du monde. Mais c'est aussi le pire car c'est un mercredi que les assassins ont frappé mes amis. Après ce 7 janvier 2015, je n'ai jamais pu arborer ou dire : Je suis Charlie. Je trouvais ce slogan ridicule et prétentieux. Je préférais celui que je m'étais fabriqué et portais en permanence sur mon vêtement, à la place du cœur : Charlie Vivra ! Il vit et vivra aussi longtemps que la connerie humaine. Donc éternellement.

 

J'ai commencé la lecture du livre de Riss. Lentement. Le vécu de l'auteur doit se découvrir à petits pas. À gros mots. On s'attend à chaque page à l'horreur, à l'innommable, à l'insupportable. C'est pour ça qu'on ne lit pas vite. Dans le roman policier, on est pressé. On veut savoir comment l'assassin tue, quand les policiers vont le confondre et le capturer. Ici, la  réalité dépasse la fiction. On sait ce qui est arrivé, on retarde le moment fatal… On lit par exemple : "Les gens vivants ne savent pas qu'ils sont vivants. Quand la mort s'approche d'eux, ils se réveillent. Trop tard… On ne parle pas à un rescapé comme s'il était aussi vivant que les autres vivants… A-t-on le droit d'infliger à un rescapé de se remémorer les détails les plus atroces de ce qu'il a vécu ?…" L'œil du cheval peint par Géricault qui orne la couverture du livre – comme celui du poisson mort sur l'étal du poissonnier parmi les glaçons – interroge le lecteur : que sais-tu de moi qui survis ?

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