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Publié le par Michel Durant

DD : Dante et Delacroix au seuil de l'Enfer

C'est l'inscription qui figure au-dessus de la porte de l'Enfer de Dante. Elle n'a pas le cynisme de celle du camp d'Auschwitz "ARBEIT MACHT FREI" (le travail rend libre). Elle est implicitement présente quand on franchit le sas d'un EHPAD et qui explique pourquoi les personnes âgées dépendantes rechignent ou refusent carrément d'être admises dans ce qu'on appelait autrefois une maison de retraite.

Les résidents testés positifs seront-ils soignés à l'hexachloroquine, transférés à l'hôpital ou isolés ?

L'épidémie de coronavirus, avec ses mortelles conséquences, rend encore plus grandes les réticences des résidents potentiels. Regardons les statistiques du  dimanche 12 avril : 14393 morts dont 9253 à l'hôpital et 5140 en EHPAD. L'hôpital soigne potentiellement une population de 66 millions d'habitants quand les EHPAD accueillent 750 000 résidents. La proportion des victimes en EHPAD est infiniment supérieure à celle des hôpitaux. On me dira que la moyenne d'âge en EHPAD est aussi infiniment supérieure, que les résidents sont souvent polysymptomatiques (comme on dit si joliment dans les médias) et que le virus ne les tue que prématurément avec quelques semaines ou quelques mois d'avance, que certains résidents meurent à l'hôpital, que les personnels sont encore plus démunis qu'à l'hôpital… On me dira ce qu'on voudra mais je parie qu'après la fin de l'épidémie, il sera encore plus difficile pour les familles de convaincre papy ou mamie d'entrer à la Maison de retraite.

 

Celle-ci a beau être appelée EHPAD (selon la propension française à tout nommer par un acronyme), la Maison de retraite a beau porter le nom d'un ancien président de la république, d'un ancien ministre, d'un saint, d'une héroïne de l'Histoire de France, d'un ancien maire… (tous morts, évidemment), pour beaucoup d'entrants à reculons, il s'agit d'un mouroir où vos enfants vous mettent pour se débarrasser de vous. En écrivant ça, je ne vais sûrement pas augmenter mon nombre "d'amis" mais c'est la vérité quel que soit le mérite des personnels de ces établissements, l'amélioration des services et des soins qui y sont donnés, le dévouement des associations pour le bien-être des personnes âgées qui y organisent des spectacles, des sorties, des fêtes, des rencontres avec les enfants des écoles.

Une bonne âme médiévale qui soigna les malheureux

En ce moment, avec le confinement, c'est encore pire qu'avant. Impossible de voir les personnes amies ou parentes qui résident en EHPAD. Impossible d'avoir de leurs nouvelles car le téléphone est constamment occupé. Seul l'arbre mort à l'entrée répond présent. Quand j'allais voir ma tante (93 ans) à l'unité Alzheimer de l'EHPAD François Mitterrand, j'en ressortais démoralisé, autant par l'aggravation de son état que par celui de certains autres résidents. On ne peut pas s'empêcher de s'imaginer à leur place et de se poser la question existentielle : vais-je finir comme ça ? Et enclencher le mécanisme "infernal" de la pensée prospective : que faire ?

La chanson de Pierre Perret L'hôpital, beaucoup moins drôle que Les Jolies colonies de vacances est néanmoins une belle prise de conscience des problèmes de la fin de vie.

Chaque année il y a 90 000 morts dans les EHPAD de France. Cette année ce sera probablement supérieur mais pas forcément de manière significative car certains décès n'auront simplement été avancés que de quelques mois. Malgré les efforts des personnels, 40% des résidents sont dépressifs (on les comprend et on les soigne), presque autant souffrent de la maladie d'Alzheimer ou de troubles voisins, beaucoup crient, hurlent, se roulent par terre… Chacun sait qu'il s'agit du naufrage social généralisé d'une société vieillissante qui cache ses vieux dans des maisons dédiées à défaut de pouvoir les garder à la maison, dans leur maison.

Tout le monde n'a pas les moyens de se payer un tel EHPAD. Mais derrière la façade est-ce aussi reluisant ?

Était-ce mieux avant ? Certainement pas. J'ai le souvenir d'une vieille dame atteinte de démence sénile, perpétuellement assise dans la cuisine, devant la table, où elle froissait en permanence des feuilles de journaux périmés. Tout un symbole. J'ai aussi celui de mon arrière-grand-mère maternelle qui, après s'être cassé le col du fémur, végéta quelques semaines, agonisant lentement dans son lit, dans la ferme familiale, entourée de l'amour de sa fille et de son petit-fils. Toujours est-il que la fin de vie est aujourd'hui prise en charge par la société. Les EHPAD publics ou privés sont de vraies entreprises avec patrons, directeurs, employés, salaires, frais, investissements… Le secteur public représente 75% de l'accueil. Le reste se partage entre privé lucratif et non lucratif. Le coût mensuel est en moyenne de 1800€ pour les établissements publics, 2000€ pour le privé non lucratif et 2600€ pour le privé lucratif. Ce dernier secteur est coté en bourse et, tout naturellement, verse des dividendes à ses actionnaires qui ne trouvent pas plus honteux de gagner de l'argent dans ce secteur que dans celui de l'armement ou de la pharmacie. 

Même masqué il fait peur !

Que dira Macron ce soir ? Prononcera-t-il plus d'une phrase-bateau sur les EHPAD ? Annoncera-t-il un transfert des dépenses du Ministère de la Défense Nationale vers celui de la Santé (le porte-avions Charles de Gaulle revenant de mission en Méditerranée bourré de malades du coronavirus peut servir de transition) ? Reportera-t-il la reprise scolaire en septembre et celle du travail en juin ? Je n'en sais évidemment rien. Je ne suis pas sûr qu'il cessera de mentir. Je crois qu'il continuera de faire du mauvais théâtre. Et je regarderai ailleurs, par exemple Un Dimanche à la Campagne de Bertrand Tavernier sur ARTE.

 

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