LE MAGNIFIQUE VOLEUR À BOUT DE SOUFFLE

Publié le par Michel Durant

À vue de nez, c'est Belmondo-Cyrano

Jean-Paul Belmondo est mort à 88 ans. Lui qui exécuta toutes les cascades de ses films, non sans quelques écorchures, avait d'abord boxé à un bon niveau ce qui lui valait un nez qu'il aurait fallu qu'on amputât selon Rostand et Pierre Dux*, son professeur au Conservatoire. Mais, apparemment, cela ne suffisait pas pour jouer Cyrano car lorsqu'il interpréta le célèbre mousquetaire au Théâtre Marigny en 1990, il y arbora le nez le plus tordu des pifs rostandiens. *Qui, en l'occurrence, manqua de flair !

Oui, on trouve ce Voleur  en DVD

Hier, ARTE avait prévu – coïncidence – de programmer Un flic de Jean-Pierre Melville. Mais, en apprenant la mort de celui qui joua beaucoup de voyous à l'écran, la chaîne déprogramma le Policier pour montrer Le Voleur de Louis Malle suivi des Tribulations d'un Chinois en  Chine de Philippe de Broca. Le Voleur, mon film préféré du cinéaste et du comédien, d'après le superbe roman anarchiste de Georges Darien (qu'on trouve en poche, Folio classique), était particulièrement indiqué pour honorer la mémoire du comédien apprécié tout autant du populo que des intellos.

Godard tourne à l'économie mais les acteurs donnent beaucoup d'eux-mêmes

Le premier film que j'ai vu de Belmondo, À Bout de Souffle, est justement celui qui a le plus contribué à le faire connaître au public du monde entier. C'est à la fois pour sa performance d'acteur désinvolte, à l'aise dans le crime et dans l'amour, pissant dans le lavabo ou volant une décapotable américaine, et pour le tournage inspiré de Godard en décors naturels, caméra à l'épaule, sans maquillage, dialogues souvent improvisés. À sa sortie, au printemps 1960, le film fit l'effet d'une bombe. Aussitôt interdit aux moins de 18 ans**, on peut dire qu'il heurta autant la morale de la France gaulliste qu'il plut à la jeunesse contestataire, qu'il fâcha Godard avec les techniciens du 7e Art et enchanta les tenants de la Nouvelle Vague qui n'avait rien à voir avec celle du Covid 19 (heureux temps où l'on pouvait aller au cinéma sans masque et s'embrasser sans risque).**Maintenant il ne l'est qu'aux moins de 12 ans !

Thomas Mann ? Verboten ! Zola ? Verboten !

J'ai vu une vingtaine de ses 80 films tournés aussi bien sous la direction des plus grands réalisateurs modernes ou classiques que sous celle de cinéastes plus modestes. Outre Le Voleur, j'ai vraiment aimé Le Doulos de Jean-Pierre Melville et Stavisky d'Alain Resnais. Mais même dans ses grands succès commerciaux où Belmondo faisait du Belmondo comme on disait auparavant que Gabin faisait du Gabin, et Raimu du Raimu, Bebel arrivait à tirer son épingle du jeu en mettant certains éléments du dialogue en valeur. Ainsi, dans L'As des As, de Gérard Oury où Belmondo, ancien aviateur de la Première Guerre Mondiale devenu entraîneur de l'équipe française de boxe pour les JO de Berlin, ramène un petit garçon juif à ses grands-parents libraires. La librairie est occupée par quatre membres de la Gestapo jetant à terre les livres interdits. Le dialogue de Gérard Oury interprété par Belmondo tourne au burlesque alors qu'il s'agit d'un vrai drame (mais c'est dans la lignée du Dictateur de Chaplin) : La Montagne Magique de Thomas Mann, c'est combien ? demande Bebel. Verboten, dit le chef des nazis en jetant le livre par terre. Et Zola ? dit Belmondo. Verboten, dit le nazi en le jetant à terre. Et Brecht ? Verboten. Et Hemingway ? Verboten. Et Freud ? Verboten. Et Hitler ? Verboten, dit le nazi qui jette Mein Kampf, puis se rendant compte de sa funeste erreur, le ramasse, essuie la poussière et le range soigneusement sur l'étagère. Le gestapiste, fort mécontent, dit à Belmondo : "Juif vous avez l'air !" Belmondo le reprend : "On met l'adjectif à la fin : vous avez l'air juif" "Ah, dit le nazi, ce n'est pas français" Et Bebel précise la leçon par un  exemple : "Si je dis con vous avez l'air, c'est juste mais ce n'est pas français !" Et ça se termine par une bagarre d'où Belmondo sort vainqueur, évidemment. Dommage qu'il n'y ait pas eu davantage de boxeurs antinazis à Berlin à cette époque !

Belmondo et Jean Seberg sur les Champs-Élysées dans le film de Godard

Je terminerai par une anecdote personnelle. Peu de temps après la sortie d'À Bout de Souffle, j'étais à Paris avec une délégation de l'Allier pour une manifestation laïque, au Sud-Est de la capitale. Nous étions venus en car. Il y en avait des centaines de tous les départements. C'était le 19 juin 1960. Je marchais sur le trottoir en direction du rassemblement où devaient intervenir les orateurs. Soudain, une voiture décapotable s'arrête près de nous et le conducteur demande son chemin. Je réponds : "Désolé, monsieur Belmondo, je ne suis pas d'ici et je ne peux vous aider." Le Parisien de Neuilly ne se retrouvait pas dans cette capitale qui comptait trois cent mille habitants de plus qu'à l'habitude ! Il aurait pu croire qu'il avait pris Le Mauvais Chemin, film de Mauro Bolognini (mais il ne le tournera que l'année suivante !)

Belmondo perdu au Bois de Vincennes ? J'étais là mais c'était la scoumoune !

 

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