LA CROIX ET LA MANIÈRE

Publié le par Michel Durant

J'ai participé à tellement de manifestations POUR ceci, CONTRE cela que je serais de mauvaise foi si je critiquais, voire condamnais, celle du Trocadéro en soutien à François Fillon ce dimanche 5 mars. On peut comprendre que le candidat de la Droite et du Centre (de moins en moins du Centre) cherche à se relégitimer en mobilisant ceux qui l'ont désigné lors de la Primaire, encore faut-il que les mots d'ordre soient clairs et pas susceptibles d'opposer ce candidat* à une institution républicaine dont il serait le garant de l'indépendance et du fonctionnement s'il était élu.

* Dans la Rome antique, les prétendants à une fonction publique étaient vêtus d'une toge blanche, symbole de probité. Victor Hugo, dans un vers célèbre de Booz endormi, a immortalisé une expression passée depuis dans le langage courant :

Cet homme marchait pur loin des sentiers obliques,

Vêtu de probité candide et de lin blanc ;

Et, toujours du côté des pauvres ruisselant,

Ses sacs de grains semblaient des fontaines publiques.

Depuis son annonce, en début de semaine, de sa probable mise en examen, François Fillon et ses plus farouches partisans passent leur temps à taper sur les juges, la justice et des pratiques qu'ils jugent inéquitables et même téléguidés par qui ? – Sarkozy, Juppé, Hollande, Macron, Bayrou, le Syndicat de la Magistrature, celui des Impôts... – mais absolument pas indépendants. Ce faisant (attention, n'oublions pas le T), Fillon n'apporte pas plus de preuves de la culpabilité des juges que ceux-ci n'en fournissent pour la sienne. Il vaudrait donc mieux pour lui que l'instruction se fasse au plus vite pour aboutir à un procès où son innocence serait reconnue. S'il est vraiment innocent comme il le prétend et comme son épouse le confirme aujourd'hui dans le JDD, il n'a rien à craindre d'un procès tenu sous la lumière en présence des médias du monde entier. S'opposer à ce que les poursuites judiciaires aboutissent vite, c'est laisser accréditer l'idée qu'il est coupable.

Maintenant qu'on ne peut plus allumer la télé ou la radio sans entendre Fillon par ci, Fillon par là, défection de "poids lourds", attachement des "enragés", changement des orientations et mots d'ordre de la manifestation qui ne serait plus une attaque contre les juges et la justice mais un soutien à  la candidature de François Fillon. Dans son camp on craint des dérives, des affrontements avec des contre-manifestants, un attentat terroriste que  l'état d'urgence n'aurait pu ni prévoir ni empêcher. Et chacun y va de son petit couplet plus ou moins sincère...

Hier, zappant sur une chaîne d'infos en continu pour avoir une information récente, je tombe sur BFMTV où un journaliste interviewait Valérie Boyer, députée ex-UMP des Bouches-du-Rhône, qui récitait ses arguments  en faveur de François Fillon. Ayant déjà entendu ce discours des dizaines de fois, je regardai attentivement cette femme agréable à voir et soudain je me focalisai sur son collier : une chaîne portant une croix latine de bonne taille par-dessus une autre chaîne avec plusieurs croix grecques assurément pas indépendantes de la foi chrétienne de la dame qui me parut soudain moins agréable, je me demande pourquoi.

Je me demande surtout pourquoi cette dame, députée de la République, porte ostensiblement à la télévision des signes religieux qu'elle et ses amis politiques reprochent aux musulmans d'arborer avec le même discours que le FN (voir les deux photos d'oratrices lors de la Manif pour  tous devant la Tour Eiffel). Personnellement, je déteste qu'on me montre à la télévision des signes religieux quels qu'ils soient et je suppose que les croyants sincères, partisans d'autres candidats, ne sont pas ravis qu'une militante supportrice de Fillon abuse de croix chrétiennes pour accréditer ses thèses sur l'innocence de ce candidat pas si candide qu'il le prétend.

En zappant alors sur une autre chaîne, comme j'aurais pu tomber sur un autre candidat, kippa sur la tête, allant courtiser une communauté israélite, j'ai préféré éteindre le poste et me replonger dans la lecture du livre de Piketty, Le capitalisme au XXIe siècle. Là pas de croix, de kippas, de voiles et toute la quincaillerie sulpicienne des différents opiums du peuple. Des chiffres, des courbes, des pourcentages, des crises, des relances, de la richesse, de la croissance, de la sobriété... le tout expliqué simplement dans des chapitres ne dépassant pas quatre ou cinq pages, juste ce qu'il faut pour pouvoir s'endormir après une dure journée à entendre et voir les soucis de Caliméro et de ses supporters intégristes sinon intègres.

Et ça nous mène où vos états d'âme, si l'on peut dire pour un athée ? Tout simplement qu'on ouvre ainsi la voie à de nouvelles guerres de religions bien matérielles – et pas seulement verbales – telles qu'on les connaît au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie et telles qu'elles pourraient reprendre dans l'Union Européenne, en Irlande par exemple. Comme dirait l'autre en se tournant vers La Mecque, lisant la Bible ou la Torah : "Dieu nous en préserve !"

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article