LA MEILLEURE ET LA PIRE DES CHOSES

Publié le par Michel Durant

 

Un jour, Ésope servit à son maître (il était l'esclave instruit d'un maître également instruit, à Athènes, berceau de la démocratie qui pratiquait néanmoins l'esclavage) un repas composé exclusivement de langues. Son maître lui avait demandé de faire un repas avec les meilleurs mets possibles pour un invité de marque. Ésope se justifia en vantant toutes les qualités  des langues. Le lendemain, il fit de même (à la  demande inverse de son maître) et démontra aussi que les langues étaient les pires choses qui soient. Aujourd'hui, Ésope, le fabuliste qui inspira Jean de La Fontaine, pourrait faire de même avec les réseaux (a)sociaux qui sont la meilleure et la pire des choses.

Les réseaux sociaux permettent à quiconque de retrouver des amis d'école perdus de vue depuis des décennies. Ils donnent à chacun la possibilité de faire connaître ses compétences et de trouver ainsi un travail ou des clients lors du lancement d'une activité commerciale. Ils servent à lancer des pétitions et à expliquer pourquoi il faut défendre une forêt, une rivière, des animaux menacés par une entreprise, une collectivité ou des individus. Ils sont d'une redoutable efficacité pour lancer un mouvement de protestation contre le gouvernement, la fermeture d'une usine, la construction d'un aéroport, d'un silo à céréales et engrais, ou d'un élevage industriel de porcs…

 

Mais ils véhiculent de fausses informations, manipulent les personnes à l'esprit critique peu développé, influencent les élections, attaquent des citoyens sans aucune preuve, insultent leur voisin de façon anonyme provoquant ici ou là disputes familiales, violences, suicides. La combinaison d'affirmations fallacieuses et de photos trafiquées facilite les abus et tromperies au point que, maintenant, les vraies informations passent pour fausses. Les citoyens, bombardés 24h/24 d'images, de paroles et de textes contradictoires ne savent plus démêler le vrai du faux et en viennent à douter d'eux-mêmes et de la démocratie qui permet cette confusion à l'échelle planétaire.

 

On apprend aujourd'hui, qu'après une information fouillée d'une année entière, des chercheurs américains ont établi qu'une agence "d'informations" russe avait diffusé sur les réseaux sociaux des arguments en faveur de Donald Trump pendant la campagne électorale de 2016 touchant ainsi plus  de 120 millions d'électeurs américains ! On me dira que les gouvernements américains ne s'étaient pas privés, pendant des décennies, d'inonder l'URSS de propagande anti-soviétique. La différence c'est qu'il ne s'agissait pas de perturber des élections démocratiques puisqu'il n'y en avait pas !

Sans les réseaux sociaux, il est probable que les Gilets Jaunes n'auraient été qu'une agréable décoration de ronds-points un samedi ensoleillé de novembre. Un bref retour du printemps, un simple prurit adolescent : on se gratte et tout rentre dans l'ordre. Là, on a eu affaire à une insurrection populaire de même nature que les grands mouvements révolutionnaires des XVIIIe et XIXe siècles. La grande différence – à part la présence des smartphones – c'est que nous vivons dans une démocratie parlementaire, certes imparfaite, dans laquelle, pour l'instant, la police n'a pas tiré sur la foule en colère à balles réelles. Mais on ne peut pourtant pas rentrer dans sa chaumière et fêter Noël comme si de rien n'était. Le peuple est entré en mouvement, tout comme en mai-juin 1968 où la société en fut profondément changée. 

Après Ésope, je vais faire appel à un autre Grec cher à tous ceux qui préfèrent réfléchir avant d'agir, je veux parler de Socrate. Le philosophe disait qu'il convenait, en  toutes circonstances de peser ce qui était vrai, positif et utile dans un événement, une proposition, une occasion. Et, à notre époque où l'infobésité est de règle (pardonnez-moi ce mot-tiroir que je n'ai pas inventé), les consignes socratiques s'avèrent très justes. Ainsi, avec le pacte de Marrakech signé la semaine dernière, les fachos, racistes et europhobes d'ici et d'ailleurs s'en sont donné à cœur joie : nous allons, "avec la complicité de Macron* qui n'a même pas eu le courage d'aller signer lui-même le texte" être submergés par  des centaines de millions d'immigrés "qui viendront manger le pain  des Français" ! Le texte, d'une vingtaine de pages, est pourtant très clair. Il réaffirme le droit pour tout humain de se déplacer sur la totalité de la planète, confirme la nécessité pour les pays d'accueil de bien traiter les arrivants mais il n'est pas contraignant pour les signataires qui conservent le droit d'établir des règles nationales clairement établies dans les limites de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.

Et tant que les humains n'auront pas assimilé la méthode socratique, il est à craindre que les réseaux sociaux ne soient la pire des choses… en attendant la meilleure :

celle de Mourad, 14 ans, qui allait deux fois par semaine à l'hôpital de La Timone, à Marseille pour jouer sur un bon piano dans le hall. Vu par un internaute qui le filma et le diffusa sur les réseaux sociaux où il fit un tabac, la solidarité se déclencha qui permit de lui acheter un piano sur lequel il peut jouer autant qu'il veut. Et la Maire Noël des 15e et 16e arrondissements, Samia Ghali n'y fut pas étrangère.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article