PIRATERIE AÉRIENNE, RETOUR VERS LE PASSÉ

Publié le par Michel Durant

Le pirate en chef et les galonnés de son armée

Je ne vous apprendrai rien sur le détournement d'avion de Ryan Air par le Bélarus du dictateur néo-stalinien Loukatchenko car les gazettes en sont remplies, les chaînes d'info montrent en boucle l'avion irlandais qui atterrit à Minsk et Internet donne tous les détails (actuellement connus) de l'arrestation du journaliste biélorusse Roman Protassevitch et de sa compagne Sofia Sapega à leur descente d'avion (nécessitée pour fouiller l'appareil à la recherche d'une bombe imaginaire). C'est pourquoi je préfère raconter un épisode peu connu et surtout peu reluisant de notre histoire qui s'est produit dans ma vingtième année, le 22 octobre 1956.

Les 5 dirigeants du FLN arrêtés à l'aéroport d'Alger

À la veille du deuxième anniversaire de l'insurrection algérienne, une conférence était prévue à Tunis avec des représentants des trois pays du Maghreb afin de coordonner leurs efforts pour obtenir l'indépendance de l'Algérie. Un DC 3 d'Air Maroc devait transporter cinq dirigeants du FLN algérien à cette conférence : Mohamed Khider, Mostefa Lacheraf, Hocine Aït Ahmed, Mohamed Boudiaf et Ahmed Ben Bella. Pour éviter l'espace aérien français, l'avion parti de Rabat fit une escale technique à Palma de Majorque et repartit pour Tunis. Mais les pilotes reçurent l'ordre d'atterrir à Alger et ils y furent contraints par des avions de chasse français. À l'atterrissage, les 5 Algériens furent fort surpris de voir monter des militaires français armés de pistolets mitrailleurs alors même qu'ils se croyaient à Tunis comme l'avait affirmé l'hôtesse de l'air, membre du SDEC (contre-espionnage français) !

Le gouvernement de Guy Mollet (1er à gauche) entourant René Coty, 1er à droite, Mendès-France qui démissionna au bout d'un mois pour désaccords sur l'Algérie

Une opération de piraterie aérienne réussie du point de vue technique réalisée par des militaires français sans prévenir ni le Président du Conseil Guy Mollet, ni le ministre de la Défense Bourgès-Monoury, ni le ministre résident à Alger (une sorte de gouverneur militaire) Robert Lacoste ! Apprenant l'affaire, le Président de la République René Coty, furieux, déclare : "Nous sommes déshonorés" et il veut libérer les 5 prisonniers. Le ministre des Affaires étrangères, Christian Pineau, l'approuve mais Guy Mollet qui regrette ce détournement d'avion décide d'assumer, provoquant la démission d'Alain Savary*, Secrétaire d'état chargé de la Tunisie et du Maroc. Le roi du Maroc propose d'échanger ses fils contre les 5 dirigeants du FLN. La proposition marocaine fut refusée et les prisonniers restèrent en détention jusqu'à l'indépendance. *Il fonda plus tard le PSU.

Benjamin Stora, un fin connaisseur de cette guerre atroce

Cette opération militaire fut en réalité un échec total pour plusieurs raisons. La première c'est qu'elle déclencha un tollé général (comme celle de Minsk soutenue seulement par Moscou) dans le monde, ternit l'image de la France "Pays des Droits de l'Homme" et internationalisa la Guerre d'Algérie que le gouvernement français avait jusque-là réussi à faire passer pour une simple opération de police intérieure. La deuxième, c'est que l'arrestation de leaders algériens dont certains étaient en contact avec des émissaires de la SFIO (parti de Guy Mollet) encouragea le clan des "durs" de l'intérieur (les combattants des maquis) au détriment de ceux de l'extérieur qu'ils appelaient les "révolutionnaires de palace". La troisième c'est l'échec de la Conférence de Tunis dont l'objectif était la création d'une Fédération Nord-Africaine. La quatrième c'est que de violents troubles éclatèrent contre les Français résidant au Maroc (au moins 50 morts). La cinquième, c'est cas de le dire, c'est la création de la Ve République en France avec le retour au pouvoir de de Gaulle, suite au putsch du 13 mai 1958 à Alger…

Pourquoi avoir attendu si longtemps pour faire la paix ?

Si les militaires (qui sont tout prêts à prendre le pouvoir en France pour peu que les civils continuent à faire n'importe quoi) n'avaient pas monté cette opération nauséabonde, il est probable que les discussions engagées depuis des mois auraient conduit à l'indépendance quatre ou cinq ans plus tôt. On aurait "économisé" des centaines de milliers de vies (françaises et algériennes, militaires et civiles). On aurait surtout pu construire un Maghreb fédéral, partenaire pacifique en coopération avec la France. La Tunisie et le Maroc avaient obtenu leur indépendance au printemps 1956. Rien n'empêchait que l'Algérie en fasse autant à l'automne. À part une clique de galonnés bornés qui, sous prétexte de défendre "l'Algérie Française", commettraient bientôt des atrocités que nous payons encore très cher aujourd'hui.

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